Enjeux et problèmes du soutien internationaliste aux prisonnier.e.s révolutionnaires (seconde contribution du SRI pour la Conférence internationale de Paris pour les prisonniers politiques)

Enjeux et problèmes du soutien internationaliste aux prisonnier.e.s révolutionnaires (seconde contribution du SRI pour la Conférence internationale de Paris pour les prisonniers politiques)

Introduction

Le Secours rouge international ne fait aucun mystère de ses lacunes et de sa faiblesse. Néanmoins, nous pensons que nos 25 années d’expérience ininterrompue dans le soutien internationaliste aux prisonnier.e.s révolutionnaires nous donne une certaine expertise sur le sujet de cette table ronde.

Ces 25 années nous ont fait affronter un certain nombre de contradictions, traverser un certain nombre de crises, ce qui nous permet d’affirmer qu’une thématique a priori simple comme le soutien internationaliste aux prisonnier.e.s révolutionnaires est en réalité une thématique spécifique et complexe exposant à des choix difficiles et à des malentendus malheureux.

Les trois enjeux

Nous l’avons dit dans notre première intervention, bon gré mal gré, qu‟ils y soient prêt ou non, les prisonniers politiques deviennent un symbole et un triple enjeu pour les deux camps.

Le premier enjeu est donc l’enjeu idéologique.

C’est l’enjeu le plus basique, celui qui révèle, au sens le plus large possible, qu’il y a deux camps, celui des exploités et des opprimés et celui des exploiteurs et des oppresseurs, celui aussi qui affirme que la lutte est possible, que la victoire est possible.

Si la bourgeoisie parvient à exhiber des prisonnier.e.s repentant.e.s, elle affermit son pouvoir. Au contraire, si les masses ont la perception des révolutionnaires inculpés comme des militants courageux, conséquents et déterminés, c’est toute la cause révolutionnaire qui est renforcée.

A l’enjeu idéologique général s’ajoutent des enjeux politiques. Les prisonnier.e.s sont les représentants d’une action politique, d’une perspective stratégique, ou d’un projet organisationnel précis, relevant d’analyses et visant des objectifs spécifiques.

Tout naturellement, les prisonnier.e.s vont vouloir servir leur projet politique spécifique. Dans leurs déclarations, ils ne se limiteront pas à une simple attaque de la nature de classe de l’Etat et de la justice, ni d’une simple affirmation de la légitimité de la lutte. Ils tenteront de valoriser leurs choix politiques, stratégiques et tactiques.

La distinction entre enjeux idéologiques et politiques est importante.

Enfin, il y a les enjeux pratiques : éviter au procès d’importantes condamnations, sortir des quartiers d’isolement, obtenir des visites et des moyens de communications, éviter une extradition, obtenir une libération, etc. Tous ces objectifs qui, conformément à ce que nous exposions dans notre première intervention, permettent aux prisonniers de rester des sujets politiques

Il faut comprendre que ces enjeux sont parfois complémentaires, parfois contradictoires – et il est parfois difficile de faire la part des choses.

Par exemple, on aurait tendance à penser qu’une position de rupture au tribunal (refuser la légitimité du tribunal etc.) renforcera les révolutionnaires dans le premier enjeu (la bataille idéologique) mais les déforcera dans le troisième enjeu (l’enjeu pénal). Il y a des exceptions à cela, ce qu’a montré la défense dite « de rupture » qui, lorsqu’elle parvient à mettre l’ennemi sur la défensive et à faire exploser ses contradictions, parvient à gagner sur tous les plans. Mais la règle est plutôt qu’il y a un prix pénal à payer pour une position idéologique offensive.

Un autre exemple : une position tranchée sur le plan politique peu parfois renforcer le niveau idéologique, parfois l’affaiblir. Par exemple, si des prisonniers défendent les choix de leurs organisation ou de leur courant de manière très sectaires, en priorisant la critique choix des autres révolutionnaires sur l’attaque à l’ennemi de classe, alors, idéologiquement, ils peuvent avoir une démarche contre-productive vis-à-vis des masses qui doivent assister à des querelles de chapelles.

La solidarité internationale

Dès sa fondation, le Secours rouge international assume des tâches de soutien aux prisonnier.e.s révolutionnaires et comprend ce soutien comme une partie de l’activité révolutionnaire. Le processus révolutionnaire est rythmé de phases tantôt ascendantes, tantôt descendantes, mais toujours traversées par une dialectique lutte/répression/résistance à la répression. Le SRI comprend le travail de résistance à la répression de manière proactive et réactive. Proactive parce qu’il faut rendre le mouvement révolutionnaire plus résistant à la répression, réactive parce qu’il faut donner au mouvement révolutionnaire les moyens de dépasser les coups portés par la répression.

On pourrait penser que le travail proactif est purement technique et organisationnel : crypter les communications, cloisonner les organisations, déjouer les filatures etc. mais en réalité c’est avant tout un travail idéologique. Seule une bonne compréhension de l’antagonisme de classe permet une bonne compréhension de la répression. Dès le moment où celle-ci est comprise, non pas comme une peste à éviter, mais comme une épreuve à surmonter, elle perd son effet de sidération, elle cesse de paralyser les forces et tétaniser les militant.e.s

Le soutien aux prisonnier.e.s révolutionnaires peut, selon la manière dont il est mené, affaiblir ou renforcer cette bataille idéologique.

Si le soutien aux prisonnier.e.s révolutionnaires se fait sur le mode victimaire, centrant la question sur les injustices subies, les condamnations injustes, les procès truqués, le détournement des lois, les tortures infligées, la dureté des conditions de détention, la longueur des enfermements, etc. alors l’effet produit est au pire une démobilisation, au mieux une de mobilisation sur une base humaniste ou démocratique-bourgeoise.

A l’inverse, si le soutien aux prisonnier.e.s se fait sur le mode politique, centrant la question sur l’identité politique des prisonnier.e.s, sur la manière dont ils l’affirment, sur l’impuissance de l’ennemi à la briser malgré son acharnement, sur tout ce que cet acharnement révèle de la crainte de l’ennemi, alors l’effet produit est un puissant encouragement pour le camp révolutionnaire.

Souvent, le SRI se voit demander de participer à une campagne internationale pour tel ou tel groupe de prisonnier.e.s. Comme nos forces sont limitées, nous sommes obligés de faire des choix et ces choix obéissent à des critères politiques. Nous nous engageons en priorité pour les prisonnier.e.s et groupes de prisonnier.e.s dont le positionnement face la répression permet de nourrir et renforcer le camp révolutionnaire.

Il y a sur ce point souvent des malentendus avec des forces qui nous appellent pour soutenir tel ou tel militant parce qu’il serait, par exemple, un journaliste progressistes injustement accusé d’être un militant révolutionnaire clandestin.

Nous souhaitons bien entendu une prompte libération aux journalistes progressistes injustement accusé.e.s, et d’autre part nous comprenons parfaitement que des militant.e.s révolutionnaires clandestin.e.s ayant agit sous couvert de « journalisme », se protègent de cette couverture pour éviter des peines de prison. Mais le SRI, qui comprend sa lutte contre la répression comme une partie de la dialectique révolution/contre-révolution, va prioriser les militant.e.s révolutionnaires qui s’assument comme tel.le.s.

De la même manière, certaines forces mettent en avant les profils les plus « innocents » (selon les catégories bourgeoises) pensant ainsi faciliter les campagnes de solidarité. Nous privilégions les profils les plus « coupables » parce qu’ils permettent d’affirmer la perspective révolutionnaire et sa capacité à affronter victorieusement l’ennemi.

C’est pour cela que dans les procès ou les détentions ciblant des groupes de militant.e.s, nous pensons qu’il faut aligner les mobilisations sur le cas des inculpé;e.s le plus lourdement attaqué.e.s par la justice bourgeoise, ou les prisonnier.e.s les plus lourdement condamné.e.s.

Cela permet d‟abord d’éviter de donner prises aux manoeuvres de différenciation (notamment des forces démocratiques, qui font leur choix en soutenant par exemple les prisonniers “injustement accusés” ou “qui n‟ont pas de sang sur les mains”).

Cela permet aussi, sur le plan judiciaire, d‟obtenir de meilleurs résultats même pour ceux qui sont le moins visés, en exploitant cette disposition de l‟appareil judiciaire bourgeois à donner des peines bien différenciées, plus ou moins lourdes, pour se donner des apparences de justice, d‟équilibre, de pondération.

Pour construire un soutien international fort et authentiquement révolutionnaire aux prisonnier.e.s révolutionnaires, il faut valoriser les prisonnier.e.s qui défendent ouvertement le projets politique et stratégique de leur groupe (même si nous avons des désaccord), les prisonnier.e.s qui ont su préserver un dynamique collective, soit en restant membre d’un groupe extérieur, soit en créant une collectivité de résistance dans la prison, les prisonnier.e.s qui assument ouvertement une rupture avec l’ennemi, son appareil policier et judiciaire, ses catégories et ses lois.

Cela ne signifie pas, notez le bien, soutenir uniquement des prisonnier.e.s ayant mené la lutte au plus haut niveau d’antagonisme, des dirigeants historiques, des combattants ayant réalisé des actions extraordinaires. La grande majorité des militant.e.s est exposé à la répression pour des initiatives de basse intensité. Les qualités que nous mettons en avant (assumer son engagement antérieur, assumer une position antagonique, refuser de collaborer, valoriser la lutte collective etc.) se posent aussi bien pour une personne arrêtée dans un piquet de grève ou capturée dans une guérilla.

Les valeurs démocratiques bourgeoises

Dans son lointain passé populaire et révolutionnaire, la bourgeoisie a développé des valeurs démocratiques et progressistes.

On sait à quel point cet héritage a été sélectif – il a été dénié par exemple aux peuples colonisé.

On sait aussi que cet héritage démocratique est sans cesse réduit. Ainsi par exemple, la bourgeoisie a renié sa propre définition du prisonnier politique. La catégorie de « terroriste » lui permet une totale inversion de ses principes : une personne emprisonnée pour avoir lutté pour un projet politique est plus sévèrement condamnée et plus durement détenues.

Il reste cependant un enjeu idéologique car la bourgeoisie continue d’affirmer que ces valeurs sont celles de son système.

Et cela est source de trois types de contradictions :

– D’abord le positionnement des humanistes et démocrates bourgeois et petits-bourgeois qui défendent sincèrement ces valeurs.

– Ensuite les personnes et institutions qui tirent pouvoir et prestige des mécanismes socio-politiques relevant de cet héritage et qui vont les défendre de manière corporatiste. On peut ainsi voir des juges prendre des décision opposées aux souhaits du pouvoir pour affirmer leur pouvoir et leur indépendance.

– Enfin la gauche du système qui, depuis son adhésion aux règles du capitalisme, ne peut se distinguer qu’en évoquant des questions sociétales et idéologiques. Si dans l’immense majorité des cas elle se positionne comme la droite du système, il peut lui arriver de prendre ça et là une position progressiste pour sauver son image aux yeux des masses. Cela n’arrive pas spontanément : il faut que la question soit fortement thématisée dans les masses pour la gauche du régime décide de se mettre en mouvement.

Le glissement général vers la droite des sociétés a réduit comme une peau de chagrin la première catégorie. Les camarades des pays dominés ne se rendent généralement pas compte à quel point les authentiques forces démocrates bourgeoise sont rachitiques – parfois plus faibles encore que les forces révolutionnaires. Quand à la gauche du système, elle n’a aucun principe. On l’a encore vu avec un soutien au génocide de Gaza qui a été sans nuance. Il a fallu que des centaines de milliers de manifestants dénoncent ce génocide pour que cette gauche risque quelques timides critiques aux génocidaires.

De nombreuses forces de la gauche révolutionnaire continue à thématiser les prisonniers avec les catégories de l’ennemi, en faisant par exemple appel au respect du droit de l’ennemi. En tant que SRI, nous avons rompu avec cette vieille pratique consistant à faire appel aux valeurs de la bourgeoisie et aux forces de la gauche du système.

Nous pensons que le meilleurs soutien aux prisonniers révolutionnaires consiste à valoriser leurs positions révolutionnaires.

Problèmes de l’internationalisation

Les problèmes de la solidarité internationale sont spécifiques. D’abord, nous l’avons vu, parce qu’il s’agit souvent de soutenir des prisonnier.e.s aux identités politiques parfois différentes des forces de soutien. Il y a un équilibre à trouver entre les forces de soutien qui, comme nous l’avons exposé dans notre première intervention, ont parmi leurs devoirs de relayer la parole des prisonnier.e.s, même si il y a des désaccords politiques, et les prisonnier.e.s qui doivent respecter l’identité politique des forces de soutien internationales et ne pas espérer qu’elles se transforment en pur vecteur de leur projet politique, organisationnel, stratégique.

Mais la solidarité internationale ne se confronte pas non seulement aux différences de positionnements politiques, elle se confronte aussi aux différences de culture politique. Et c’est une problématique qui est généralement négligée.

Dans certains pays, la revendication de l’amnistie fait partie des revendications du mouvement révolutionnaire, dans d’autre pays, elle est portée par les représentants de la capitulation et de la liquidation. Dans certains pays, la culture politique exige que l’on discute au tribunal avec les juges pour défendre ses idées, dans d’autres pays, on ne discute pas avec les juges parce que cela serait reconnaître la légitimité du tribunal. Les exemples sont nombreux.

Le front de lutte carcéral est souvent déterminé, on l’a vu, par des enjeux symboliques. Or, un même symbole peut avoir un impact idéologique fort dans certaines société et nul dans d’autres, et c’est ce qui explique qu’un même facteur peut amener à une lutte à mort ici et n’être même pas un sujet de conversation ailleurs. A titre d’exemple, le port de l’uniforme carcéral est inadmissible pour les prisonnier.e.s de Turquie ou d’Irlande, et indifférent aux prisonnier.e.s de Belgique ou des États-Unis. Si on essaie de comprendre ces différences en terme de « plus radical/moins radical », « plus juste/moins juste », on s’égare tout à fait. La bataille des symboles ne peut être jugée qu’en rapport direct avec la culture politique spécifique à laquelle il fait écho, et dans laquelle il dans laquelle il renvoie un écho. Soutenir des militant.e.s prisonnier.e.s implique donc non seulement de comprendre leur engagement politique, leur situation politique, mais aussi leur culture politique.

Perpectives

Comme on le voit, la construction d’un soutien international aux prisonnier.e.s révolutionnaires commande des analyses et des choix tant de la part des prisonnier.e.s que de la part des forces politiques de soutien. Au delà du réflexe naturel de solidarité, expression de notre appartenance à un même camp, les révolutionnaires prisonnier.e.s et les forces politiques de soutien doivent nouer une relation où les réalités, rôles et objectifs de chacun doivent être compris et respectés. Et cette relation elle-même doit être pensée dans un ensemble plus complexe encore où interviennent les diverses instances de l’ennemi, parfois en accord, parfois en rivalité, parfois en conflit, et aussi d’autres forces obéissants aussi à leur propres logiques, comme les démocrates bourgeois, les avocats ou les familles.

Notre expérience comme SRI est limitée, mais suffisamment positive et encourageante pour nous donner confiance dans la possibilité d’étendre et d’approfondir le soutien aux prisonnier.e.s révolutionnaires, et de faire de ce soutien un partie de la lutte globale pour la libération..